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Champalu à Vendôme, le marginal devenu prince
Un personnage unique dont les Vendômois de souche se souviennent encore. Né à Busloup, CHAMPALU vécut à Vendôme vers 1925 jusqu'en 1942. Homme libre, il était fier de ne rien devoir à la société, vivait de la fabrication de balais de bouleau, de rapines dans les champs et les vergers, et de lapins de garenne... Il était un homme gai, chantant tout le temps. De passage dans les foyers de Vendôme et dans les fermes alentours, il acceptait volontiers un verre de vin, accompagné de biscuits.
Pour les petits Vendômois c'était le père Fouettard local, malgré lui. Avec sa barbe hirsute, sa grosse moustache, son vieux chapeau de feutre, ses guêtres de cuir et ses molletières de chiffons, Champalu faisait peur aux enfants. Il devint ainsi, lui qui était totalement inoffensif, un allié de choix pour les parents en mal d'autorité sur leur progéniture. Nombreux sont les Vendômois d'un certain âge à se souvenir d'avoir entendu leur mère ou leur père menacer "d'appeler Champalu ".
Un clochard par Jean Francois Raffaelli
Marchand ambulant, ermite, marginal... Champalu était tout cela à la fois et sûrement autre chose. Entre 1925 et 1940, il vendait des balais de bouleau qu'il fabriquait lui-même.
Ambroise Langlais (ou Langlet), alias Champalu, est né le 13 novembre 1866 à Busloup (41). Il est décédé le 4 novembre 1942, au 34 avenue du Maréchal Maunoury à Blois, adresse à l'époque de l'asile départemental, fermé en 1943. Il y avait été transféré après auparavant avoir été hospitalisé à Vendôme.
Pourquoi est-il parti de Busloup où il avait, paraît-il, femme et enfants (dixit M. Paul Dujardin *), et qu'est-ce donc qui l'a poussé à mener ainsi une existence d'homme des bois ? C'est encore un mystère.
En 1925, il trouva refuge à Vendôme dans une maison abandonnée en lisière de bois des Fontaines, au lieu-dit "La Grande Taphorie". Il y vivait seul. L'hiver, il se chauffait de bois mort. Il recueillait l'eau de pluie dans des boîtes de conserve qu'il alignait sur le sol sous la saillie des ardoises. Il allait vendre ses balais de bouleau en ville et dans les fermes environnantes. sa journée terminée, il rentrait chez lui avec un pain de quatre livres accroché à la place de sa marchandise. Gai, chantonnant constamment, il était accepté (intégré dirions-nous aujourd'hui) par la population malgré sa différence.
Le témoignage suivant de Ginette Cormier, Vendômoise, date de 1982 :
" Il avait été autrefois menuisier et en parlait quelquefois ; chaque année, il apportait un bouquet de muguet à ma mère, au premier mai, et on lui servait un verre de vin rouge sur l'appui de la fenêtre. on ne le faisait pas entrer. " Le père Ambroise ", comme on l'appelait, n'était point sot, il lui arrivait même de faire état de ses solides connaissances mais ses grands gestes et ses cris dans la rue effrayaient les enfants. "
Au fil des ans, Champalu devint à sa manière une "vedette locale". Un mécanicien, Fernand Mottu, immortalisa dans une figurine en bois sa silhouette si caractéristique, avec ses balais comme des trophées de chasse et son sac en bandoulière. Cette figurine valut à son auteur une cinquantaine de commandes dont certains exemplaires existent encore. Quelques années plus tard, en 1936, Champalu figura parmi les personnages d'une revue vendômoise, créée par un chansonnier qui s'appelait M. Herpin et était maraîcher de son métier. (NR du 13/10/1996)
Paul Dujardin a connu Champalu très longtemps. Sa mémoire regorge d'anecdotes le concernant. "Je l'ai connu de ma petite enfance à l'âge adulte. Je suis allé plusieurs fois aux champignons avec lui. Il avait une figure d'épouvantail à moineaux. Il était toujours affublé de vieux vêtements. Il portait des jambières en toile de sac, serrées en haut par de la ficelle. Il était petit. Et sa petitesse était accentuée par le fait qu'il marchait les jambes repliées comme s'il était chargé d'un fardeau. Il avait une tête à la Henri IV (photo), avec une barbe qui repiquait. Si Henri IV avait vieilli, il aurait ressemblé à Champalu. L'été, il se faisait des cahutes en branchages dans la forêt. J'en ai vu certaines. Il n'allait pas de maison en maison. Il avait des acheteurs et des commandes. Il avait aussi une clientèle pour le gui et le houx au moment de Noël. C'était vraiment ce qu'on appelait à l'époque un chemineau. Il faisait ce qui lui plaisait.
Il vivait beaucoup de cueillette. Ce n'était pas un braconnier de métier, mais il le faisait à des fins personnelles. On le craignait car il avait des réactions imprévisibles. Il était bien perçu de la population. Il faisait parti du décor. Il n'a jamais été inquiété par la police ou la gendarmerie. Jamais il n'aurait demandé 20 sous à quelqu'un. Il inventait des chansons. Il improvisait sur les gens qu'il voyait dans la rue. Il était très moqueur. Il allait chez la mère Louste, place Saint-Martin, et chez Montébraud, le débit de tabac d'à côté, acheter un cigare bagué. Il buvait un petit rhum ou deux, mais il ne se saoulait pas. "
Sur les raisons de son hospitalisation au début des annés 1940, il existe plusieurs hypothèses.
Selon Paul Dujardin, il aurait été plaçé à l'hôpital hospice de Vendôme par les autorités allemandes. A cette époque, Champalu avait changé, l'aspect particulièrement solitaire et silencieux affirmé. " Ce n'était plus le même. Il avait le regard éteint. Il paraissait déprimé. Je me souviens l'avoir vu faire des huit avec un arrosoir dans la cour de l'hospice*. Ca doit être le dernier souvenir que j'ai de lui. "
Gaston Duvallet, lui, avance qu'il avait été poursuivi par des jeunes qui lui avaient jeté du poivre. Et il était pratiquement devenu aveugle. La mère de M. Duvallet s'occupait des vieillards à l'hôpital, dont Champalu. Il le voyait toutes les semaines quand il allait voir sa mère." Il était très gentil, affirme-t-il, passait inaperçu. Il fallait le faire manger car il ne voyait plus rien. "
Michel Hallouin aussi apporte un éclairage intéressant. " Mes parents étaient concierges à l'hôpital. Ma mère faisait la barbe et les cheveux aux anciens. Champalu ne se faisait jamais couper les cheveux ni la barbe. Il était taciturne. Il ne faisait jamais parler de lui. Mais, c'était quelqu'un de fascinant, notamment par l'allure, avec sa grande barbe poivre-et-sel. Il était difficile à percer. Quand je le voyais passer, je m'arrêtais. Mais je ne lui ai jamais parlé. J'ai quitté Vendôme en 1942 et je n'ai plus jamais entendu parler de lui. "
Jean-Claude Pasquier, amateur d'histoire locale, secrétaire honoraire de la Société Archélogique de Vendôme raconte ainsi "son" Champalu. " Ce souvenir remonte à l'été 1942, j'avais tout juste 5 ans. Mes parents habitaient 7 rue Lemyre-de-Vilers à Vendôme, dans une maison occupée par plusieurs locataires et dont la cour donnant sur la rue restait ouverte en permanence. Alors que nous dînions, j'étais comme chaque soir réfractaire à la "panade", soupe très épaisse, indigeste, dont ma mère, seule, avait le secret. Certes, les temps étaient durs. Toujours est-il, comme d'habitude, elle devait me "menacer" de tout dire à Champalu si je ne mangeais pas cette "infâme bouillie". Or, coïncidence extraordinaire, au même instant, notre "Père Fouettard" vendômois venait de s'appuyer sur la porte basse donnant dans la cuisine. J'eu - paraît-il - une très grande frayeur. A vrai dire, je ne me souviens que d'une vague silhouette accoudée à la partie basse de notre porte. J'ai su plus tard qu'il venait tout simplement saluer mon père qui, ouvrier en chaussures à l'usine Poisblaud de la rue du Docteur-Faton, lui rendait quelquefois quelques menus service comme lui recoudre sa gibecière ou retaper ses brodequins éculés. Mon père en faisait un bonhomme sympathique, un peu bourru, mais toujours près à rendre service. Voilà, personnellement comme j'ai "connu" Champalu. Je ne sais pas si, ce soir-là, j'ai bien mangé ma soupe... En revanche, ce personnage hors du commun pour l'époque, aujourd'hui indissociable de notre histoire locale, m'a toujours intrigué."
Lucien Caille, agriculteur retraité, se souvient de Champalu lorsqu'il habitait "La grande Taphorie" sur les terres de ses parents, devant l'entrée de la cave du coteau de Lubidet : " Parfois, c'est assis sur ce banc devant cette table de pierre que Champalu préparait des balais ".
"Je devais avoir autour de huit ans mais je me souviens bien de ce marginal que mon père autorisait à habiter dans une vieille maison en haut de la côte de Courtiras. Il travaillait dans les champs quand on avait besoin de lui. D'abord pour ma grande tante Chalopin, puis pour mon père... Je le revois encore fabriquer ses balais parfois installé sur la table de pierre devant l'entrée de la cave de la ferme de l'impasse du Lubidet. Dans la forêt de Vendôme, il ramassait des branches de bouleau ou coupait avec précaution des jeunes pousses et les organisait scrupuleusement pour dormir dessus. Histoire de leur donner une forme pour les redresser ! Ensuite, il liait les branches avec de l'épine et partait en ville pour vendre ses balais. Un travail soigné que les gardes appréciaient sachant que Champalu respectait la forêt et qui lui permettait de se constituer une vraie clientèle... Les parents nous faisaient peur avec ce marginal qui se baladait avec son éternel chapeau. On nous interdisait de nous approcher de Champalu qui pourrait nous emmener dans la forêt. C'était pour nous faire peur de celui qu'ils nous présentaient comme le Père Fouettard. Pourtant, Champalu n'avait rien de dangereux.... D'abord, il était toujours en train de chanter. Et parfois, s'amusait à faire du bruit en tapant avec une boîte de conserve fichée au bout d'un morceau de bois sur un vieux pédalier de vélo qu'il avait enfilé pour se faire un drôle de collier."
"En fait, bien des rumeurs ont circulé sur le bonhomme. Il s'appelait je crois Ambroise et avait été ébéniste à Busloup où il était né. Certains assuraient qu'il avait purgé une peine de prison mais je ne sais pas s'il s'agit de la réalité. En fait, personne ne savait vraiment pourquoi il vivait ainsi. Quand il a disparu en 1942, certains ont cru qu'il avait été pris par les Allemands, d'autres ont affirmé qu'il était mort à l'asile de Blois."
* M. Paul Dujardin, mémoire de la cité de Vendôme, disparu en août 2005, a effectué des recherches sur Ambroise Langlais dit Champalu. Il ne nous est pas parvenu à ce jour de résultats concernant ces recherches.
Ces informations sont tirées du quotidien La Nouvelle République du Centre-Ouest (Loir et Cher, 41) qui chaque année, lors de la semaine commerciale, illustre la vie de Champalu par de nouveaux témoignages sur le bonhomme.
* Sur les 8 effectués à l'aide d'un arrosoir, une allusion est faite par Léon-Paul Fargue :
"J'aime à voir, sur l'asphalte du quai, un employé tracer sans hâte, à l'aide d'un arrosoir, -mais on ne le fais plus guère-, des huit engendrés les uns des autres et traduisant fidèlement, "en plan", la nonchalance du geste balancé qui les dessine."
In, Déjeuners de soleil, Gallimard L'Imaginaire, 1999, p.150
Alors, ancien cheminot, Ambroise Langlais ? D. Toulmé le 14/07/2017
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Jusqu'où ira-t-on ?* Un pittoresque personnage du Vendômois : Champalu/ Raymond Dreulle[article] dans le Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire du Vendômois > 1986* L'article de la Nouvelle République du Centre-Ouest en date du 8 novembre 2015 (mis à jour le 28 avril 2017) "Champalu, une vraie "vedette"" : https://www.lanouvellerepublique.fr/vendome/champalu-une-vraie-vedette (lien valide au 5 mars 2024)
* Léon-Paul Fargue, familier des "Champalu" : http://filsduvent.kazeo.com/Fargue-et-les-bohemiens-rois-de-l-ete-a130748042
Tags : Champalu, Vendôme, vendômois, errant, marginal, débrouille
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Commentaires
6champaluSamedi 12 Décembre 2009 à 19:22Champalu se trouve tr?honor?e trouver place dans ce site remarquable, merci ?ous. Cependant permettez lui une petite rectification, si le peti Vendomois doit tout en effet M.Fleury et les siens), il ne signe pas pour autant ma chronique ! Tudieu !J'ai envoy?u quotidien La Nouvelle r?blique du Centre-Ouest une demande de renseignement concernant les statues de Champalu (est-ce qu'il en reste ? O?ut-on en voir ?) :
Voici le re?du courrier que vous avez envoy?
"nr.documentation" nr.documentation@nrco.fr ?6/11/2008 10:23
Ce re?v?fie que le message s'est affich?ur l'ordinateur du destinataire ?2/11/2008 09:40
Je n'ai toujours pas de r?nse depuis... Lettre morte.4visiteur_CaillieVendredi 5 Décembre 2008 à 08:14Bonjou Patrick,
Merci de ta visite. Je n'ai toujours pas de réponse de la NR concernant les sources de leur article. Je pense les relancer un peu avant les fêtes au cas où ils aient un peu de temps...
Tu peux m'envoyer la photographie à cette adresse : denis.toulme@worldonline.fr
A bientôt,
Denis3visiteur_Patrick EdgVendredi 5 Décembre 2008 à 07:42j'ai réalisé une statuette en argile de Champalu, j'aimerais vous faire parvenir la photo!2visiteur_Patrick EdgVendredi 5 Décembre 2008 à 07:39bravo!
je viens de lire le plus bel hommage rendu à un gagne-misère
j'ai repris ce nom pour écrire un conte moderne : le royaume libertaire de Champalu1gensduvoyageDimanche 19 Novembre 2006 à 10:41Ce qui m'a interpellé ce sont les 8 qu'il faisait avec son arrosoir dans la cour de l'hospice...Ce n'est pas anondin. Le 8 représente les 4 arc des saisons, les4 points cardinaux. Il représente par là même les 4 phases de la vie.
La naissance, l'enfance, la vie d'homme et la vieillesse.. Le 8 étant avec le 0 le seul chiffre fermé implique qu'après la mort tout recommence comme après l'hiver renait le printemps... Culture manouche que me racontait ma grand mère !
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Message en date du 12/12/2009