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    LA LEGENDE DES ORIGINES DES GITANS

    D’après Veijo BALTZAR extrait de Phuro *,

     

              Les nomades racontent qu’ils trouvèrent un jour dans les steppes orientales un petit garçon dont la mère était une jument. Il avait la peau tannée et d’un brun cuivré et ses cheveux d’un noir bleuté avaient l’aspect d’une épaisse crinière. Ce petit garçon vivait parmi les nomades près de montagnes rocailleuses, il grandit et devint comme eux un robuste jeune homme. Il emmenait paître les chevaux dans les prairies et devint un habile cavalier et dresseur de chevaux. Dans cet immense paysage désolé il devint terriblement ardent et impétueux. A la différence d’un garçon ordinaire, ce fils de jument était vif et assoiffé d’aventure. A cause de son intrépide curiosité, de son sang chaud et de son apparence peu commune, les autres jeunes gens l’évitaient et le regardaient de travers. Plus il devenait beau et indépendant, plus les autres l’évitaient et dédaignaient sa compagnie. A la fin, adultes et enfants se mirent à se moquer du jeune homme brun et à l’appeler : Gitan.

    Cela lui fit terriblement mal au coeur et il se réfugia dans la paix des montagnes. Dans sa solitude il devint maussade et d’humeur orageuse.puis de jour en jour il se mit à apprécier ce nouveau nom pétulant « Gitan ». Un jour lui vint l’idée de hurler ce mot à travers un profond canyon. « Gitan, Gitan, Gitan » répétait l’écho. Plus il écoutait ce mot, plus il devenait puissant et expressif, et plus cela lui plaisait. Les moqueurs attendaient le contraire, mais le jeune homme s’amouracha de ce nom. Selon lui il convenait admirablement à sa personne, bien mieux qu’aucun autre nom d’homme.

    Les nomades pensèrent que le jeune homme allait mourir de faim dans les montagnes. Mais quand quelques mois après ils le virent revenir, ils furent terrifiés. Ils étaient convaincus que le fantôme du jeune homme était descendu pour prendre sa revanche sur eux. Mais lui, le fils de jument, les saluait d’une manière amicale en disant : « Gitan ». Les nomades étaient éberlués, mais le jeune homme souriait et leur permit de le toucher pour qu’ils soient sûrs qu’il était en chair et en os. « Gitan » répétait-il en riant et en pointant son doigt vers lui. A partir de ce jour, il commença à s’appeler Gitan et demanda aux autres de l’appeler ainsi.

    Les années passèrent et à la longue, la nouvelle de cet étrange jeune homme arriva aux oreilles d’un lointain Pharaon. Quand celui-ci apprit que nulle part au monde on ne pouvait trouver un aussi bon cavalier que le gitan, il convoqua la jeunesse et organisa une course hippique pour voir de ses yeux de quoi ce jeune homme était capable. Les meilleurs sujets du royaume prirent part à la course et Gitan triompha de tous. Alors le Pharaon fut conquis. Il prit Gitan à sa cour et en fit immédiatement un puissant chef militaire.

    Gitan devint un héros célèbre qui abattit un à un les ennemis du Pharaon et que ses soldats aimaient et respectaient comme leur propre père. Un jour alors qu’il venait de vaincre les troupes d’un royaume voisin au cours d’une sanglante bataille, le roi vaincu l’invita à venir négocier dans son camp. Gitan accepta l’offre. Le roi l’attendait sous sa tente mais il n’était pas seul. La fille du roi était également présente, c’était une superbe beauté brune dont il devint passionnément amoureux.

    Comme s’il avait deviné les pensées de Gitan, le roi lui fit une proposition : si Gitan lui laissait la vie sauve et épargnait son royaume, il serait récompensé en lui accordant la main de la princesse. Gitan était confronté à un choix pénible et sa décision fut longue à prendre. Mais l’amour l’emporta sur ses obligations envers Pharaon. Il écouta son coeur et resta avec ses troupes fidèles à la cour du roi étranger.

    Quand Pharaon apprit cela, il déclara immédiatement que Gitan et sa bande de soldats étaient des traîtres et envoya son armée pour les faire prisonniers. Gitan était sûr de son choix, mais il avait de la peine pour ses soldats car il savait que ses adversaires étaient bien plus puissants. Juste avant la bataille décisive, il offrit à ses hommes la possibilité de changer d’avis, mais ils refusèrent ; ils étaient prêts à se battre jusqu’à la fin et à mourir aux cotés de leur seigneur. Emu par l’amour de ses hommes, Gitan pleura en leur présence, prit son luth et joua en chantant devant eux une magnifique complainte. Ensuite il embrassa sa bien aimée et se lança dans la bataille à la tête de sa compagnie.

    Néanmoins, la princesse refusa de l’attendre en lieu sûr et malgré les protestations de Gitan, elle le suivit sur le champ de bataille. Apercevant une flèche arriver droit sur la poitrine de Gitan, elle courut au devant de lui et fut tuée. Gitan arracha le corps de sa bien aimée des griffes de l’ennemi et s’enfuit du champ de bataille avec son précieux fardeau. Très loin dans le désert, il déchira ses vêtements pour en faire un linceul pour l’âme de sa bien aimée. Il l’emporta avec lui et enterra son corps sous une falaise rocheuse. Désertant la bataille, Gitan rassembla ses hommes les plus fidèles, qui même dans la défaite ne voulaient pas le quitter et il partit avec eux en direction du Nord.

    Il fut déclaré coupable dans le monde entier, à cause de sa trahison. Il se cacha avec sa compagnie dans la forêt, se nourrissant de racines, buvant l’eau des rivières et dormant à la belle étoile. Un jour il découvrit une grotte et décida de vivre là. Avec tristesse il se mit à peindre avec son sang le portrait de sa bien aimée sur le mur de sa grotte.

    Un jour; une magnifique jeune femme lui apparut venant de nulle part. Gitan était suffoqué par cette apparition, mais la jeune femme l’apaisa et lui dit qu’elle était sa bien aimée. Gitan ne put la croire. Elle lui ordonna d’ouvrir le linceul dans lequel il avait placé l’âme de sa bien aimée. Il hésita mais sa curiosité triompha et, le coeur battant, il ouvrit l’étoffe usée par le temps et miracle/ elle était vide. Alors il pensa que l’âme de s bien aimée avait pénétrée le corps de celle qui se tenait devant lui. Il l’amena à la lumière du jour et la fit sienne, alors que la pluie tombait en prenant la terre et les cieux à témoin.

    Elle devint son épouse et lui donna des garçons et des filles. Le miracle se répandit et aussitôt les fidèles troupes du Gitan, non seulement l’aimèrent comme leur seigneur juste et vaillant, mais encore il se mirent à l’honorer comme un saint homme. Alors Gitan prit le nom de « Phuro »*, l’honorable père de leur clan. Phuro baptisa ses enfants, ses soldats et les enfants de ses soldats, leur donnant le nom que les nomades lui avaient donné par dérision et c’est ainsi que naquit le peuple gitan.

    Plus tard, parvinrent aux oreilles d’un roi local la nouvelle qu’une grande multitude de gens vivait dans les montagnes et qu’il y avait un saint homme dans la forêt. Cette nouvelle de la présence d’un puissant adversaire le contraria. Ses intendants cependant lui conseillèrent de mettre Phuro de son coté plutôt que de l’attaquer, et c’est ainsi que les messagers du roi offrirent à Phuro la citoyenneté de ce pays et une charge à la cour. Mais Phuro n’avait pas envie de passer sa vie enfermé dans un château et d’échanger sa liberté contre la richesse. Il répondit donc au roi : « nous avons ici tout ce dont nous avons besoin. Ici personne ne loue notre sagesse, ni ne condamne notre bêtise et cela nous satisfait .

    Cette réponse mit le roi en colère et il envoya aussitôt ses soldats pour s’emparer de Phuro et des Gitans. Une fois de plus, Phuro fut contraint de s’enfuir avec son peuple Sous sa conduite, les Gitans traversèrent des forêts que personne n’avait encore pénétrées, franchissant des montagnes aussi hautes que les nuages et les endroits les plus désolés où l’on ne pouvait voir ni un seul être humain, ni une maison. Ils dormirent dans des plaines immenses, se cachant dans les hautes herbes, nourrissant leurs chevaux et se reposant. Au lever du jour, ils partaient et voyageaient toute la journée jusqu’au soir.

    Le voyage des Gitans fut incommensurable. Les chaînes de montagnes se dressaient à l’infini et les routes s’élevaient jusqu’aux cieux. Et c’est ainsi que le peuple de Phuro vécut la même expérience que celui qui était né d’une jument parmi les nomades. Où qu’ils aillent les Gitans étaient partout étrangers. Partout les gens fabriquaient des histoires et racontaient des choses de plus en plus étranges à propos d’eux et nulle part les gens n’essayaient de les comprendre.

     

    * Le Phuro c'est le tuteur moral de la famille. Le mot Phuro (vieux) du romanes a quelque chose de religieux, il vient du sanscrit vrddhà et devient bouddhò en langue pali et bouddhà en langue huidi.
    L'étude philologique des langues explique l'histoire de notre culture parce que dans notre langue, il y a l'histoire de notre culture.

    explication issue de http://www.ac-versailles.fr/pedagogi/casnav/europeen/culturetsigane/cult_tsi.htm de

    Alexian Santino SPINELLI

     

          La vérité sur les Gitans est cachée quelque part, gravée sur les rochers, mais ce passé est encore bien vivant dans la pensée de chaque Gitan, comme des ombres chinoises qui vacillent et rayonnent en irradiant leur mystérieux pouvoir.

          Les Gitans n’ont pas oublié l’histoire de leur Phuro, et la bénédiction de leur honorable père ne les a pas quittés. Les Gitans n’ont pas besoin de mépriser ou d’adorer des dieux étrangers, excepté pour des raisons pratiques. Ils continuent le voyage de leurs ancêtres et, suivant l’exemple de Phuro, ils ont la force d’aimer le monde et de rêver à leur prince et à leur princesse, quand bien même le monde entier semble contre eux et que la haine noire recouvre la flamme de l’amour.

          La littérature romani possède une tradition orale très ancienne et très riche mais elle s’exprime également depuis cinq cents ans à travers les différentes langues nationales en Europe et aux Amériques. Nous assistons d’autre part aujourd’hui à une formidable renaissance culturelle en langue romani. Celle-ci est d’ailleurs officiellement reconnue et enseignée en Finlande et dans de nombreux états membres du Conseil de l’Europe et de l’Union Européenne.

     

     

    VEIJO BALTZAR est un écrivain rom né en Finlande en 1942 qui illustre de façon remarquable la richesse et la diversité de la littérature romani contemporaine : il a publié de nombreux romans, pièces de théâtre, écrit un opéra, travaillé pour la radio et la télévision. Nous avons choisi un extrait de son roman PHURO pour vous présenter cette légende des origines. Les mythes sont très révélateurs de la conception du monde que partagent aussi bien les Roms que les Sinti ou les Kale mais ils s’inscrivent aussi dans l’histoire indo européenne de notre civilisation.

     

    Article provenant du site http://www.dromedu.org/france.htm. Allez-y voir, il y a des choses intéressantes.

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