• Le Ravensbrück de Germaine Tillion

     

    Les Tziganes de Ravensbrück évoqués par Germaine Tillion

     

     

            " Les malheureuses Tziganes m'inpiraient une pitié profonde. J'allais souvent dans leur Block et j'avais même commencé un petit vocabulaire comparé des divers dialectes gitans afin d'amorcer la conversation sans exciter de curiosité par mes questions. C'est ainsi que j'ai découvert deux familles de Tziganes belges et une vieille Tzigane française, femmes ahuries par leur incompréhensible malheur, mais ayant une instruction primaire et des habitudes de vie matérielle qui leur rendaient insupportable la cohabitation avec les Tziganes allemandes. Le reste (à l'exception de quelques Tziganes tchèques) était étonnamment sauvage, moins cependant que certaines Ukrainiennes mais sensiblement plus que les femmes des tribus africaines où mon métier d'ethnologue m'a conduite. A vrai dire je n'ai pas vu ces dernières dans un camp de concentration.

            La vieille Tzigane française m'a raconté son histoire : on était forains et on faisait les marchés avec une très bonne boutique de jeux, héritée des parents - elle, son mari, ses grands enfants, et encore un gendre et un frère marié, en tout quatorze personnes. Mais quand la saison était finie on revenait à Paris dans un joli petit appartement, avec la radio et tout le confort. Un soir les allemands ont arrêté tous les forains de la kermesse (ça se passait à Lille, je crois) et ils ont déporté ceux qui étaient bruns. On les a d'abord amené dans une prison de Belgique et là ils ont su qu'ils iraient à Auschwitz : et les autres me disaient : ma pauvre femme c'est l'enfer où vous allez, mais qu'est-ce que je pouvais y faire ? Quand nous sommes arrivés à Auschwitz on nous a mis dans un grand hangard en planches avec de la caillasse noire par terre et rien d'autre, ni paille, ni couverture,  et rien à manger ni à boire pendant deux jours... et par les fentes des planches nous voyions de grandes flammes toutes rouges mais nous ne savions pas ce que c'était. Au bout de deux jours l'ordre est venu de ne pas nous tuer, alors on nous a donné de la soupe et des bidons d'eau et on nous a mis ailleurs... Puis l'horrible misère, les coups, et un à un, tous sont morts jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'elle et peut-être sa plus jeune fille dans un autre camp, elle ne savait pas. Mais pourquoi ? qu'est-ce que nous avons fait ? répétait-elle sans cesse... pourquoi ? pourquoi ?

     

    crematoire


    Le crématoire du camp de Ravensbrück.
    Cliché Origine inconnue.

     

          Dans le long catalogue des crimes allemands rien n'a atteint le martyre des Tziganes (même pas celui des Juifs qui ont eu souvent la chance de mourir vite) : toutes les variétés d'assassinats ont été essayées sur eux, plus souvent que n'importe quel autre peuple ils ont dû servir de cobayes pour les expériences " scientifiques " et à Ravensbrück, si quelques Allemandes ont été stérilisées à titre punitif et individuel, comme stérilisations en série il n'y eut que celles des Tziganes - y compris les toutes petites filles.

          Et pourquoi ? quel fut le crime de ces pauvres gens ? Car si leur niveau de culture était bas, à qui est-ce la faute, sinon à l'indigne peuple allemand qui les avait sous sa tutelle depuis des siècles sans avoir jamais rien fait pour eux avant d'entreprendre leur massacre - indigne peuple qui n'a su que tuer tout ce qui était sans défense. "

    Page 63/64, Ravensbrück par Germaine Tillon, Famot, 1976

     

    Réédition aux éditions du Seuil

     

     

    Dernière mise à jour : le 27/05/2015

     

     

    Liens :

    * Germaine TILLION de nos amis et parmi les meilleurshttp://filsduvent.kazeo.com/portraits-amis-pas-a-moitie/germaine-tillion-un-modele-a-mediter,a485707.html

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