• Un court texte évoquant l'histoire des populations tsiganes de France. (H. Asséo)

     

    L'identité tsigane

     

     

    Henriette Asséo, EHESS

    Compte-rendu de la conférence du 27-04-2001

    Le vaste ensemble de l'univers tsigane - la romanipe , la manière tsigane de vivre -, ne correspond ni à des frontières territoriales précises ni aux enchevêtrements actuels du mouvement des nationalités. Pourtant, quel que soit le type de société, une sorte de principe d'extraterritorialité mentale semble entourer la famille tsigane dans ses rapports avec autrui, et cette arrogance apparente suscite une profonde incompréhension.

    S'il existe une manière commune aux Tsiganes de voir le monde, leur univers est marqué par la diversité que reflète les variations multiples sur leurs noms.
    On peut distinguer des dénominations externes, imposées dès la fin du Moyen-Age  : 

    • Le nom de Tsigane est dérivé de celui, en grec, d'une secte connue en Asie Mineure, au XIème siècle, les Athingani , devenu Cingani en Europe Orientale, Zingari en Italie ou Zigeuner en Allemagne. On ne sait pour quelle raison on leur attribua ce nom. Mais la présence des Tsiganes est clairement attestée à Constantinople en 1150. Une longue implantation dans l'Empire byzantin a soumis leur langue à une influence importante du grec.
    • En Europe occidentale, ils reçurent d'abord le nom d' Egyptiens , parce qu'ils disaient expier par un pélerinage de part le monde une apostasie provoquée par la poussée des Sarrazins au sud du Péloponnèse en une région dite de "Petite Egypte". Ceci a donné Gyspsies en Angleterre ou Gitanos en Espagne.
    • Le terme de Bohémiens est dû au prestige des lettres de protection accordés à la même époque aux conducteurs qualifiés de " duc ou comtes de Petite Egypte de "ménages" égyptiens par les princes de cette région, en fait Rois de Hongrie, Prince de Bohême et de Pologne. Ils furent même traités par un chroniqueur perplexe de "Bohémiens Sarrazins de Petite Egypte"
    • La qualification fortement péjorative de Romani ou Romanichel n'apparaît qu'au XIXème siècle et provient sans doute de la déformation de Romani Tchave (les gars tsiganes).

    Les dénominations internes au monde tsigane sont plus complexes  : 

    • Si la parenté entre la langue romani et le hindi ne fait aucun doute, les Tsiganes n'ont pas gardé le souvenir d'une patrie indienne d'origine. La référence à l'Inde est une construction intellectuelle récente. Par contre, pour se distinguer entre eux, les Tsiganes font souvent référence à leur région où leur famille a le plus longtemps séjourné - ce qui correspond à la distribution des variantes dialectales de la langue romani .
    • Les familles peuvent ainsi se reconnaître entre : 
      • Les Roma ou Rom , venus depuis le XIXème siècle d'Europe centrale et orientale. Ils adjoignent à leurs noms souvent des distinctions régionales, religieuses ou professionelles souvent caduques  :  les Rom Kalderash, Lovara ou Tchurara furent, en d'autres temps, chaudronniers, marchands de chevaux ou fabricants de tamis. Les Xoraxane Roma sont des Roms musulmans venus par exemple de Macédoine.
      • Les Sinte ou Sinti sont établis en Europe occidentale depuis le XVème siècle. Ces derniers emploient en France le terme de Manus (Manouches).
      • Les Gitans et les Catalans , très tôt sédentaires, appartiennent au monde ibérique ou au sud de la France. Leur présence date aussi de la fin du Moyen-Age.
      • Il existe aussi les Yenishes qui se désignent simplement comme Voyageurs .

    La maîtrise de la langue est la pierre de touche de la dénomination familiale, les relations entre parents et enfants s'expriment toujours en romani , même si une certaine déperdition du vocabulaire réduit son usage quotidien. Car ainsi que l'écrit Patrick William :  " toutes les communautés tsiganes ont à affronter le même problème  :  comment construire et maintenir une autonomie dans une situation d'immersion et pour la majorité d'entre elles de dispersion?".
    Patrick William et quelques autres, Leonardo Piasere, Alain Reyniers, Michael Stewart, Bernard Formoso, ont mis en évidence la variabilité et l'inventivité des systèmes familiaux tsiganes. Ainsi en est-il des mariages. Par exemple, les Manouches des Vosges ne pratiquent pas d'endogamie stricte mais plutôt des "réenchainement d'alliances" qui font se retrouver dans un lacis dense de relations sociales les membres de familles alliées qui voyagent entre les Pays-Bas et le sud de la France. En cela ils répètent un jeu d'alliances établi depuis l'époque de leur implantation dans les Vosges du Nord entre la Révolution et le second empire.
    Le chercheur peut effectivement reconstituer l'ancienneté de ces réseaux matrimoniaux à l'aide des registres de l'état civil ancien mais la mémoire généalogique des Tsiganes ne s'exerce pas différemment de celle des autres. Elle ne retient que le souvenir de deux ou trois générations antérieures. C'est pourtant bien à partir de ces localités vosgiennes (Reipertswiller, Lihtenberg, Baerenthal, Wimmenau ou Wingen) que s'amorça depuis le début du XIXème siècle un lent redéploiement des Sinte en Europe occidentale.

    Les tsiganes de France sont donc issus de trois périodes d'enracinement  : 

    • L'ancien régime par l'arrivée des Ducs et Comtes de Petite Egypte, devenus par les protections royales et seigneuriales des "capitaines de Bohémiens" employés dans les guerres privées et extérieures. Ces familles se sont ruralisées au XIXème siècle, en demeurant fidèles à leur région initiale d'implantation.
    • De 1770 à la fin du XIXème siècle, on assista à un redéploiement en France et dans les Nouveaux Mondes des familles établies en Allemagne, en Alsace et dans les Vosges du Nord.
    • De 1860 à 1930, une nouvelle migration fut provoquée par la libération progressive des liens de servage domaniaux en Europe centrale, balkanique et orientale. Ce qui entraîna la mise ne route de familles, dites selon les sources "hongroises" ou "bosniaques" ou " russes ou "albanaises" ou "moldo-valaques", dotées de passeports collectifs autrichiens ou turcs, et très exotiques. Cette "invasion" imaginaire a nourri la crainte du "péril errant" à l'origine de la loi de 1912.

     

    http://66.249.93.104/search?q=cache:u7DycMSfNtEJ:barthes.ens.fr/clio/revues/AHI/articles/preprints/asseo.html+tsigane&hl=fr&lr=lang_fr

     

    Liens :

    Le principe de circulation et l'échec de la mythologie transeuropéenne, par Henriette ASSÉO : http://revue-de-synthese.eu/doc/RS_2002_085-110.pdf

     

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  • Commentaires

    3
    visiteur_gavali
    Vendredi 16 Mars 2007 à 19:23
    Tu as tout à fait raison, petite manouche, moi quand je suis allée en Inde j'ai été stupéfaite de voir à quel point nous nous ressemblons.
    Tchoum!
    2
    visiteur_Gavali
    Vendredi 16 Mars 2007 à 19:06
    Romanichel ne vient pas de "rromane tchave" (expression peu courante employée surtout par Kochanowski) mais de rromani+ "tchel" qui signifie "nation". D'où romanichel (écrit par les Gypsies britanniques "romanichal" ou romanichael") qui signifie "peuple rrom".
    Merci, te oven baxtale!
    1
    visiteur_petite mano
    Mardi 2 Mai 2006 à 23:03
    quelle histoire , on a fait de la route qund meme moi je trouve que nous les voyageurs on resemble vachement au hindous
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