Manouches et CB

Il y a quelques mois, un soir, je vais à la station pour faire le plein. Une camionnette se gare derrière moi. Prudente, je garde un oeil... Le chauffeur descend et je reconnais aussitôt qu’il est Manouche. Il me tend 5 euros et me demande si je veux bien lui prendre pour 5 euros d’essence, sinon il va tomber en panne. J’accepte naturellement. Ce qui m’a fait sourire, c’est qu’il me tend l’argent tout de suite, sans même me connaître et surtout sans savoir si j’étais d’accord. Il me dis que je suis trop gentille, je lui dis que je suis manouche moi aussi. Il est resté bouche bée. Je n’ai pas voulu savoir pourquoi. Il m’a expliqué où ils étaient stationnés, et m’a invitée à venir sur leur terrain.<br /> <br /> C’est vrai que la carte bleue est devenue une frontière de plus. Ceux qui n’en ont pas, ou qui n’en utilisent pas, se retrouvent exclus de plus en plus d’endroits, comme autrefois avec les papiers, les logements ou les écoles. Et on fait mine de s’étonner quand les gens bricolent pour s’en sortir. Pourtant, ils ne demandent pas la lune, juste de pouvoir circuler, payer, vivre.<br /> <br /> Les espèces, c’est aussi une forme de liberté. On sait ce qu’on a, on le voit, on le sent, et on le partage plus facilement. Il y a quelque chose de plus humain là-dedans, moins froid que les chiffres d’un écran. Mais aujourd’hui, vouloir rester en dehors des circuits bancaires, c’est presque vu comme un délit.<br /> <br /> Les jeunes voyageurs, eux, s’adaptent. Il y en a qui gèrent des comptes en ligne, qui passent des commandes, qui fint des réservations... Ils ont compris qu’il fallait s’y mettre pour ne pas être laissés sur le bord du chemin. Mais ça reste une adaptation forcée, une réponse à un monde qui ne se soucie pas de leur mode de vie.<br /> <br /> Ce qui me frappe dans ton récit, c’est le naturel avec lequel ce monsieur pose sa question: «Et les Manouches, ils font comment?» Comme si c’était une énigme. Comme si on n’avait pas déjà, mille fois, trouvé nos propres combines, nos propres réponses. C’est toujours nous qu’on interroge, jamais le système.<br /> <br /> On s’en sort comme toujours: en se débrouillant, en s’aidant entre nous, en demandant, en rendant. Et parfois, nous aussi en payant quelqu’un pour qu’il fasse à notre place ce que l’État, la société ou la technique nous empêchent de faire seuls. Mais ça, ça s’appelle de la solidarité. Pas de la dépendance.