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    Amie sans espoir

    par Francis Huscenot

     

          

             Marie Sandos avait trouvé refuge dans une caravane à la campagne. L'entreprise pour laquelle elle travaillait depuis quinze ans, l'avait tout de même licenciée. Elle en avait mis du coeur à l'ouvrage et les jours où le coeur ne suffisait pas, il avait fallu tout de même aller au bout.

    Aujourd'hui, jusqu'à son emploi l'avait abandonné et, ayant tout donné pour lui, elle n'avait eu le temps d'avoir des idées pour autre chose. Seule elle se retrouvait et pas question de retourner chez ses parents à deux cent kilomètre de là ; ceux-ci qu'elle voyait rarement en seraient morts d'une crise du coeur. Elle préfèrait ne rien dire, tout oublier.

    Marie est tombée bien bas le jour où elle a perdu son appartement. Tous les yeux se sont détournés d'elle, même avant qu'elle ne pleure. Le loyer trop cher, des revenus en chute libre, elle a dû se résigner... A errer.

    Elle a demandé du pain aux gens mais pas à l'agent. Elle les évite. "I paraît qui touchent des sous quand I dénichent des gens comme moi, des pauves gens sans rien, que leurs yeux épleurer. J'leur ai dit qu'y avait d'aut' poulets pus gras à plumer qu'cheu nous zautres. Et aussi qui zallaient voir à force de presser le citron. Chez le p'tit peuple, I finira par casser le rsort ! I m'ont regardée d'un regard de "c'est pas nous ! nous, on fait qu'obéir et appliquer la loi", puis, un est vnu à moi, un grand singe comme on en voit pas à la campagne. Il m'a dit :

    - Allons madame, papiers ! Contrôle d'identité s'il vous plaît.

    - pardon m'sieur ! J'suis za pieds.

    - Et comment ! On l'a bien vu. On est pas bigleux. Vous auriez une moto que ça ferait plus de bruit.

    - Mais alors, que m'voulez-vous enfin ?

    - Chasse aux Romanos, ma bonne dame, voleurs de poules.

    - Ah! Y'en aurait par ici ? J'en ai pas vu toujours.

    - Bon ! Circulez ! "

     

    J'ai zélu domicile dans c'te roulotte, comme une Bohémienne, une bonne à rien. et malgré que je sois jeune, y'en a qui s'sont arrêté pour m'dmander la boune aventure.

    - Hé! que j'leur ai dit, seriez déçu mes amis, j'en ai pas tripette de mots tendres.

    - Ah! Comment ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Vous ne semblez pas si triste au fond. Qu'est-ce que ce laisser-aller chez une personne comme vous ?

    - Pardi ! mes bons messieurs -car il s'agissait de messieurs za cravates, de la ville quoi-, j'aime les gens mais I veulent pas de moi. Mon travail m'a laissé...

    - On peut vous le faire reprendre, dit l'un !

    - Peuh! n'y croyez pas !

    Les individus n'ont pas attendu que j'réponde pour rigoler d'mon sort avec bêtise. 'Suite, se sont éloignés tandis que l'dernier à parler tappait l'épaule d'un autre qui manquait d'tomber.

     

    Marie Sandos n'est pas des plus attirante. C'est une grande tige qui ne sait pas quoi faire de ses longues jambes et de ses bras interminables. Elle ne connaît que marcher. Souvent, en revenant du village où elle achète son minimum, elle s'arrête au bord du chemin et contemple les champs et les près. Si quelque chose a changé, si la conjonction des nuages, du soleil, du vent, apporte un nouvel éclairage sur la vie de la commune, elle le note consciencieusement. On la surprend parfois le regard perdu ou captivé par un oiseau qui exécute des pirouettes.Quelques rides ainsi que des cheveux qui tirent vers le blanc indiquent sont âge.

    De bon matin, elle fait rougir ses joues à aller chercher de l'herbe pour ses animaux. On pourrait la rencontrer au détour d'un sentier mais elle ne parle guère qu'aux bêtes, ses amis, ainsi qu'à son vélo parfois.

    Je l'ai pourtant rencontrée au bois de la Fuye à Marcienne. J'étais à cueillir des champignons caché par d'épais taillis. Elle a posé sa bicyclette tout contre un roncier. Quelle idée de venir à vélo dans un bois, qui plus est lorsque l'on est rompu à la marche ! Elle ne m'a pas vu tout de suite. j'ai ainsi pu la situer, la reconnaître. Et puis, nous avons échangé un regard, nous soupesant. "Qui qu't'es ?" semblaient me demander ses yeux noisette devenus sauvages.

    - J'jour ! m'a-t-elle lançé.

    -J'jour ! lui ai-je répondu sans pouvoir décrocher un autre mot tellement j'étais impressionné aussi bien par sa taille que par son calme, le calme d'un ermite.

     

    Une autre fois, elle se trouvait en compagnie de son petit chien, "Tommie", un bâtard d'épagneul et de cocker. Elle ramassait des pissenlits sur la berme et en garnissait un panier d'osier qui ne quittait pas sa main gauche. Le soleil innondait les près alentour et je m'étais dit qu'il faudrait me lever tôt si je voulais réaliser des photographies intéressantes du petit jour. Marie sandos portait un sarrau pour se protéger de la rosée matutinale. Statue vivante, elle donnait du caractère au paysage. Au début, elle me prit pour un touriste puis, elle me reconnut (plus vite que son chien dois-je dire). Ses cheveux étaient, ce jour là, mal coiffés. Ce n'était pas habituel chez elle. Je ne me souvenais pas d'un manque de soin la concernant. Je risquai quelques mots comme font les gens à la campagne, façon de tester l'autre, vérifier qu'il est disponible.

    - Oui, c'te belle journée m'sieur !

    - Vous n'avez pas froid de si bon matin, les mains dans la rosée ?

    - Tommie ! Sale bête. Veux-tu t'écouter... Qué ? Faut ben qu'ça s'fasse !

    - Sûremement.

    Je remarquai qu'elle avait la lèvre coupée juste sous le nez.

    - Vous vous êtes blessée madame Sandos ?

    - Ah! C'est qu'vous m'connaissez !

    - qui ne vous connaît pas ici !

    C'était la première fois que je lui voyais un semblant de semblant de sourire. Deux ans qu'elle habitait dans une caravane à quelques kilomètres de Chassaignes, sous des peupliers aux feuilles tremblantes que j'appris à connaître. La commune lui louait pour quelques pièces un lopin de terre qu'elle cultivait. Des garçons s'intéressaient à elle, la trouvant courageuse.

    Elle allait rencontrer Philippe quelques mois plus tard, un perdu de partout. Lorsque je sentis que je gênais, Marie étais déjà enceinte ; elle mourut avant d'accoucher car Philippe la battait.

     

     

    Francis Huscenot, 1996

     

     

     

    Combien de Marie ?

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