• Patrick WILLIAMS

    1947-2021

     

    Patrick Williams Anthropologie tsiganes

    Patrick Williams, à gauche, avec ses amis, les frères Lafleur, à droite © D. R.

    (copié sur https://www.en-attendant-nadeau.fr/)

           

     1 Patrick Williams, l’anthropologue des Tsiganes, chercheur distingué en 1997 par la médaille d’argent du CNRS, est mort le 15 janvier dernier, à l’âge de 73 ans. La nouvelle va bouleverser ses intimes, ses amis, ses collègues, tous ceux qui avaient eu l’occasion de le rencontrer ou de le connaître d’une manière ou d’une autre par la lecture de ses publications ou à l’écoute de ses conférences.

      2 C’est à Gouzon, une petite commune rurale du département de la Creuse, que naît Patrick Williams en date du 2 mai 1947. Il y passe une grande partie de son enfance, sous l’aile d’une grand-mère bienveillante. Celle-ci tenait un café fréquenté par les gens de la localité autant que par des familles manouches qui avaient leurs habitudes dans la région. De solides amitiés allaient se forger entre Patrick et les enfants manouches de son âge. Ils allaient grandir ensemble, partageant jeux, émois et expériences. Cette proximité ne sera jamais mise à mal, même lorsque Patrick suivra ses parents pour aller s’établir à Paris. Une vocation était en germe. Pourtant, passionné par l’œuvre de Blaise Cendrars, Patrick entreprit tout d’abord des études de lettres. Mais, animé par le désir de mieux connaître la langue des Manouches qu’il avait découverte au contact de ses camarades, il se mit dès 1969 à suivre l’enseignement des langues tsiganes donné par Georges Calvet au Centre universitaire des langues orientales vivantes (futur Institut national des langues et cultures orientales - Inalco).

      3 C’est Georges Calvet qui introduit son étudiant au sein de la communauté des Roms kalderash de la région parisienne. Très vite, Patrick Williams entretient des rapports quasi quotidiens avec plusieurs familles. Dans l’une d’elles, il rencontre Juliette qu’il épousera en 1971. Les Roms de Paris sont très différents des Manouches de la Creuse et son immersion parmi eux lui fait prendre conscience de la grande diversité des mondes tsiganes. Il apprend aussi à côtoyer le petit monde des quelques rares chercheurs et activistes qui gravitent autour des Tsiganes parisiens, mais il garde une distance prudente vis-à-vis d’eux. Sans doute parce que les discours globalisants et distanciés de ceux-ci ne correspondent pas à sa propre expérience. Il ressent le besoin d’une méthode scientifique rigoureuse pour élaborer son savoir et le communiquer. Il va la trouver en parcourant les ouvrages de la bibliothèque d’un ami anthropologue, Alban Bensa. C’est une révélation. La méthode ethnographique de l’observation participante le séduit : elle correspond particulièrement bien à son vécu parmi les Tsiganes. Il la fait sienne et il l’appliquera à l’étude des diversités tsiganes.

      4 L’apport majeur de Patrick Williams à l’étude des populations tsiganes repose sur cette connexion entre la démarche ethnographique sur le terrain et la défiance à l’égard des perspectives globalisantes. La description prime et c’est d’elle qu’émergent les interprétations. La singularité tsigane qui apparaît à tel endroit n’est ni transposable ni généralisable. De surcroît, elle n’existe qu’inscrite dans l’ensemble social qui l’environne. Il devient ainsi possible de parler dans le détail, mais avec cohérence, de multiples réalités tsiganes sans en trahir l’originalité. Une telle prise de position va évidemment provoquer une révolution dans le champ des études tsiganes fortement marqué jusqu’alors par des représentations stéréotypées, des préjugés ou des partis pris théoriques préalables aux investigations. Mais cette approche mettra du temps à s’imposer. Elle obtiendra sa reconnaissance au fil des publications de Patrick Williams, puis de celles d’ethnologues plus jeunes, français ou étrangers, notamment dans le cadre de recherches doctorales.

      5 Il se fait connaître des milieux scientifiques et des tsiganologues quand il défend, en 1979, à l’université de Paris III-Sorbonne nouvelle sa thèse de troisième cycle intitulée Une cérémonie de demande en mariage chez les Roms de Paris. Il y décrit son immersion parmi les Kalderash de la banlieue parisienne et formalise ses prises de position épistémologiques. Jean-Pierre Liégeois l’approche alors pour animer le pôle anthropologique du Centre de Recherches Tsiganes tout juste installé dans les locaux de l’université de Paris V, à Clichy. En 1981, Patrick Williams contribue à la rédaction d’un ouvrage collectif Les populations tsiganes en France dans lequel il se charge de la partie consacrée à la société tsigane. Il y affirme : « Si l’on considère qu’une société est une représentation commune aux gens qui la composent, la société tsigane (…) n’existe pas ». En revanche, il décrit avec minutie ce qui caractérise les communautés dites tsiganes et reconnaît un système de relations entre ces dernières et les Gadje. L’implication de Patrick Williams au Centre de Recherches Tsiganes ne durera pas. Entre 1981 et 1984, il prendra en charge le cours de culture tsigane à l’Inalco.

      6 En 1983, il publie un premier article dans la revue Études tsiganes : « L’affirmation tsigane et la notion d’authenticité ». L’année suivante, il est l’auteur d’un second article « Pour une approche du phénomène pentecôtiste chez les Tsiganes ». Une longue collaboration s’installe. En 1984, il publie aussi sa thèse chez L’harmattan (l’ouvrage sera couronné par le prix Romanès en 1987). C’est un évènement qui contribue à mieux le faire connaître. En 1985, il rejoint le Laboratoire d’anthropologie urbaine du CNRS où il poursuivra sa carrière de chercheur. Il en deviendra le directeur de 1996 à fin 2009. À l’occasion des trente ans de l’association des Études tsiganes, en 1986, Patrick Williams accepte la responsabilité scientifique du colloque international qui marque cet anniversaire. Les actes sont publiés chez Syros Alternatives en 1989 sous le titre Tsiganes : identité, évolution. Dans l’introduction à ce volume, Patrick Williams souligne à la fois le foisonnement des communication recueillies et la diversité des approches parfois inconciliables de leurs auteurs, signe selon lui de la multiplicité des situations vécues par les Tsiganes et de « l’ampleur d’un fait irréfutable : celui de la présence tsigane ». En parallèle à une carrière de chercheur qui est maintenant bien sur les rails, il acceptera une charge d’enseignement à l’université de Paris X-Nanterre de 1985 à 1989.

      7 En 1993 paraît Nous, on n’en parle pas. Les vivants et les morts chez les Manouches, sans doute l’œuvre majeure de Patrick Williams dans laquelle il met pleinement en scène, dans une langue d’une grande finesse, les résultats d’une méthode arrivée à maturité. L’ouvrage connaîtra un succès international et sera traduit en plusieurs langues. En 1994, il dirige un numéro des Études tsiganes, Jeux, tours et manèges. Une ethnologie des Tsiganes avec les contributions d’anthropologues à la fois spécialisés et capables de se situer par rapport aux grandes questions qui se posent à leur discipline.

      8 L’œuvre de Patrick Williams sera abondante. En dehors des titres déjà cités, nous relèverons : Terre d’asile, terre d’exil : l’Europe tsigane, un numéro de la revue Ethnies (1995) coordonné avec Marcel Courthiade ; Les Tsiganes de Hongrie et leur musique (1996) ; un numéro des Études tsiganes (1997) La littérature des Tsiganes et les Tsiganes de la littérature, coordonné avec Evelyne Pommerat ; Des Tsiganes en Europe, ouvrage dirigé avec Michael Stewart (Maison des Sciences de l’Homme, 2011) qui reprend une série d’articles publiés auparavant dans la revue Terrain. Patrick Williams publiera dans bien d’autres revues telles que Ethnologie française, Études rurales, Archives de sciences sociales des religions. Il y abordera des sujets divers : le pentecôtisme, l’identité, la langue, le nomadisme et la sédentarisation, les modes d’organisation sociale, la littérature ou encore les pratiques langagières et musicales des Tsiganes. Peu à peu, c’est d’ailleurs à la musique, particulièrement au jazz et à Django Reinhardt, qu’il consacrera une partie importante de ses intérêts scientifiques. Dans ce domaine, il publiera notamment « Django :la rencontre du jazz et des Tsiganes » dans Études tsiganes (3-4,1989), Django en 1991 réédité chez Parenthèses en 1998. Avec son collègue et ami Jean Jamin, il coordonnera en 2001 un numéro de la revue L’Homme intitulé Jazz et anthropologie. Puis, à l’issue de neufs années d’un séminaire qu’ils auront animé ensemble avec passion, ils publieront Une anthropologie du jazz aux Editions du CNRS. Toujours en 2010, chez Parenthèses, Patrick Williams publiera enfin Les quatre vies posthumes de Django Reinhardt. Trois fictions et une chronique. Le dernier article qu’il écrira pour Études tsiganes en 2016 sera consacré à Matéo Maximoff, pasteur, cinéaste, écrivain, son aïeul parmi les Roms.

      9 Patrick Williams aura cheminé avec la revue Études tsiganes pendant un peu plus d’une trentaine d’années en fréquentant ses locaux, en acceptant des responsabilités ponctuelles, en y publiant avec plus ou moins de régularité, mais sans jamais chercher à s’intégrer de façon prolongée à sa structure. C’était une question d’éthique personnelle, pour lui qui se méfiait de tout regroupement permanent de chercheurs, vu les conséquences que cela avait eu pour les Tsiganes au cours de la Seconde Guerre mondiale. Par contre, il était de ceux qui reconnaissaient et poussaient à maintenir le caractère scientifique de la publication. À cet égard, il se montrait particulièrement exigeant sur les plans éditorial et rédactionnel, n’hésitant pas à faire part de son mécontentement au comité de rédaction quand il l’estimait nécessaire.

      10En fait, Patrick était un personnage complexe. Il pouvait apparaître froid et distant, voire cassant, pour qui le rencontrait pour la première fois. Mais, une fois la glace brisée, c’était un être attentif, profondément chaleureux, parfois avec un brin d’ironie, qui se révélait. Patrick souriait et riait beaucoup. Dans les conversations, il lui arrivait souvent de s’emballer non sans exubérance. Il aimait profondément la vie et ce qu’elle offre de meilleur, sa famille, ses proches, les repas empreints de convivialité, les discussions de comptoir au bistrot du coin, la musique, la littérature et la poésie. Il était passionné de rugby. Sa disparition inattendue est une perte réelle pour tous ses proches comme pour toutes celles et tous ceux qui gravitent autour de la revue. L’être humain n’est plus, c’est vrai. Mais il nous laisse l’immense cadeau de son œuvre et l’émouvant souvenir de ce qu’il fut. Cela, c’est inestimable.
     
     
     
    Mis en ligne sur Cairn.info le 24/12/2021
     
     
    Oeuvre (incomplète) de Patrick Williams :
     
     
    * Nous, on n'en parle pas - Les vivants et morts chez les Manouches
     
    Nous on n'en parle pas les vivants et les morts chez les Manouches ...
     
     
     
    * Mariage tsigane...
     
     
    Mariage tsigane une cérémonie de fiançailles chez les Rom de Paris ...
     
    * Tsiganes... (paru à titre posthume)
     
     
     
     
     
    Liens :
     
    * Bibliothèque des ouvrages, illustrés plus ou moins, sur ce site documentaire : http://filsduvent.kazeo.com/Bibliotheque-des-auteurs-du-voyage-la-galaxie-des-voyageurs-couchee-su-a121151252
     
     
     
    * Le numéro d'Etudes Tsiganes qui contient un dossier-hommage à Patrick Williams :  Études Tsiganes 2020/1-2 (n° 68-69) Dire la langue, pages 4 à 7
      
     * Résumé/critique de l'oeuvre Tsiganes inconnus...https://www.en-attendant-nadeau.fr/2022/10/05/Williams-Tsiganes-inconnus/
     
    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique