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HEUSCH, Luc de
Luc de HEUSCH
* A la découverte des Tsiganes - (Une expédition de reconnaissance, 1961)
Editions de l'Institut de Sociologie de l'Université Libre de Bruxelles, 1965
Pendant plus de deux mois au cours de été 1961 Luc de Heusch et le cinéaste Henri Storck ont parcouru dix mille kilomètres travers Europe centrale et orientale la recherche des Tsiganes. Mais l'enquête de ces gajé (non-Tsiganes) n'aurait probablement jamais franchi le rempart d'enfants et de femmes tsiganes mendiant auprès des intrus à seule fin de les écarter de leur société (sans parler des difficultés postérieures au cas où ils auraient tout de même surmonté cet obstacle) ils avaient eu un autre compagnon Jan Yoors. Depuis son adolescence celui-ci appartient à la fois, ce qui est rare, au monde des Rom (Tsiganes) et à l'univers gajé, et constitue ainsi un véritable cas de dédoublement culturel de la personnalité en outre il re une formation ethnographe. Dès lors, de Heusch et son compère Storck seront en cours enquête des " ... objets souriants mous informes et incolores... " Selon de Heusch un des grands malentendus de la tsiganologie vient de ce que la plupart des chercheurs ont étudié des Tsiganes sédentaires généralement assez ouverts enquête mais fortement acculturés. Or ce sont les hordes nomades d'accès beaucoup plus difficile qui précisément grâce leurs contacts incessants préservent à travers le temps et l'espace une certaine unité et homogénéité de leur système de vie. Celui-ci est en effet fondé sur une langue commune avec des variantes dialectales le romani qui apparenterait des parlers de l'Hindou Kouch et de l'Inde centrale) ainsi que sur des structures sociales des valeurs et des réactions globales semblables. Cette situation se maintient en dépit de l'évolution des activités économiques notre avis cette évolution doit tout de même présenter une configuration particulière puisque le nomadisme exclut inévitablement bon nombre occupations. De Heusch note combien l'éthique sexuelle des Rom est sévère. C'est d'ailleurs le gage d'une bonne entente dans la kompania organisation temporaire de caractère économique groupant plusieurs familles qui réunissent de trois à trente véhicules et qui appartiennent généralement à la même classe sociale. Car de Heusch mettant en lumière des études de Yoors Drom le Lowarengo Journal of the Gipsy Lore Society 1959-1961 XXXVIII XXXIX et IL) montre que les Tsiganes se répartissent en cinq classes hiérarchisées selon leur plus ou moins grand prestige, les sédentaires étant éliminés de cette société. Au sommet prestigieux de échelle se trouvent les Lowara qui s'occupent traditionnellement du commerce de chevaux ensuite les Tshurara très mobiles également maquignons mais souvent voleurs de chevaux et d'un caractère belliqueux en troisième place les Kalderash forgerons semi-sédentaires la quatrième catégorie est celle des Matshvaya dont le commerce est l'activité traditionnelle enfin la dernière classe est celle des Manush pratiquement rejetés par les autres groupes. Les Manush, qui ont un parler fortement influencé par l'allemand, sont très engagés dans un processus d'acculturation. La musique est comme on le sait leur métier traditionnel qui leur sert à divertir les gaje. Cette musique n'a rien de commun avec les chants authentiques et improvisés des Rom. De Heusch décèle une complémentarité fonctionnelle entre les classes les Lowara qui détiennent la sagesse et un pouvoir diffus de la souveraineté les Tshurara sont liés la guerre et au pillage enfin les Matshvaya et les Kalderash pratiquent le commerce et artisanat les Manush seraient donc exclure du système. Certes les caractéristiques de cette structure sociale sont devenues fort théoriques elles montrent néanmoins un enracinement dans le lointain passé des castes indiennes On note ailleurs que chaque groupe manifeste une nette tendance endogamique.
Un journal de voyage constitue la deuxième partie du livre Les aventures cocasses des gaje parmi les Rom forment un agréable complément cette fantaisie ethnographique plus substantielle il paraît Ajoutons enfin et ce est pas un des moindres mérites de l'auteur que celui-ci regarde avec autant de sympathie que de compréhension ce peuple de seigneurs déguisés en voleurs mendiants maquignons chaudronniers.
Jacques GUTWIRTH
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