• Le réveillon invisible des Roms de Lyon
    LE MONDE | 01.01.09 | 15h36  •  Mis à jour le 01.01.09 | 15h36
    LYON CORRESPONDANT


    u bout d'une impasse, il faut passer par le trou d'un muret en béton, traverser un rectangle de pénombre, marcher sur des rails de chemin de fer englués dans le bitume, avant de franchir le seuil du hangar à la haute toiture métallique, tout près de l'ancienne gare de Villeurbanne, dans le quartier Grand-Clément.

     

    Ainsi entre-t-on dans le monde caché où des familles de Roms de Roumanie ont élu domicile depuis quelques mois. A l'intérieur, s'offre au regard une succession de cabanons de fortune collés les uns aux autres, faits de bois de palettes, de couvertures, de plastiques, de cartons, avec un sens poussé de la débrouille.

    Fini le temps des bidonvilles à ciel ouvert, démantelés et reconstitués au fil des expulsions en 2007, minés par des rivalités intestines, traversés par des mafias à l'affût. Les Roms, à présent, se dissimulent. Ils sont tout aussi nombreux qu'auparavant, malgré les discours officiels.

    Selon plusieurs associations, ils seraient environ 600 disséminés dans l'agglomération lyonnaise, réfugiés dans des squats, des hangars. Parfois ils se cachent dans des voitures, des bosquets. "On a privilégié l'ordre public aux actions sociales, résultat : cette population se terre et la situation devient encore plus dangereuse pour la santé et la sécurité", estime André Gachet, chargé de mission à l'Alpil, association lyonnaise pour l'insertion par le logement. "Les lieux deviennent de plus en plus sordides, on travaille dans l'urgence, les solutions durables sont de plus en plus difficiles à mettre en oeuvre", ajoute Nicolas Molle, un autre travailleur social.

    Dans le hangar de Villeurbanne, qui fait penser à celui du premier film des frères Lumière, des silhouettes silencieuses passent dans le grand couloir central, éclairé de deux ampoules. Agnès Varda pourrait y filmer une nouvelle version de ses Glaneurs, tout en ombres furtives, sans misérabilisme. C'est soir de réveillon.

    Au bout à droite, derrière un lourd rideau de couvertures piquées, Mariana fait la cuisine. Le chou cuit sur une plaque électrique posée sur des cartons au pied de deux lits. Des ailes de poulet mijotent. Il y fait chaud. Mère de huit enfants, dont deux sont retournés en Roumanie, elle vit dans la région lyonnaise depuis dix ans, espère y rester. Pour que les enfants aillent à l'école, que les grands trouvent du travail. C'est dit simplement, sans plainte, sans revendication.

    Selon les associations, la majorité des Roms souhaite pouvoir s'insérer durablement. D'autres espèrent repartir dans une vie meilleure, pouvoir échapper au sort réservé aux minorités. Les derniers restent dans l'indécision. "Il faut un accompagnement social pour apprécier la diversité des situations. A Grenoble par exemple, un travail d'insertion est mené en lien avec le pays d'origine. Dans le 1er arrondissement de Lyon, ou dans la commune de Chassieu tout récemment, des élus courageux ont cherché des solutions", souligne M. Gachet. Mais à Lyon, la préfecture du Rhône a changé de politique. Elle a mis fin à la maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale (Mous), une mission gérée par l'Alpil en vue de proposer des solutions concrètes aux personnes.

    A côté de chez Mariana, la musique s'échappe d'une petite chaîne reliée à un circuit électrique surchargé. L'orchestre tzigane chante "Mercedes", la belle voiture qu'on a pu ramener à la maison. Des jeunes gens dansent sans exubérance. Les doigts claquent au bout des bras en croix, les paumes frappent poitrine, genoux, talons, au rythme de Nicolae Gutà. Il est 23 heures à Villeurbanne, minuit en Roumanie, près de la frontière hongroise où vivent les proches. Gabi, 14 ans, emprunte un téléphone portable. Des cris de joie s'entendent. On se dit bonne année dans le hangar invisible.

     

    Richard Schittly
    Article paru dans l'édition du 02.01.09
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